Souvent les approches de la mort et l’usure affinent les hommes qui semblaient incapables de recueil- lement. À bout d’excitation, ils s’arrêtent ; leur désir décidément mort leur permet d’écouter. Ils enten- dent le bâillement universel, l’aveu d’impuissance, l’à quoi bon qui fait le dernier mot de toute activité.
Cette connaissance ne décolore pas l’univers ; il est plus richement diapré sous les yeux avertis d’un Faust que sous le regard impatient d’un jeune brutal. Quel beau livre, celui qui mériterait qu’on lui donnât pour titre les trois mots inscrits sur un monument de Pise Somno et Quieti sacrum !
La mort et la volupté, la douleur et l’amour s’appellent les unes les autres dans notre imagination. En Italie, les entremetteuses, dit-on, pour faire voir les jeunes filles dont elles disposent, les assoient sur les tombes dans les églises. En Orient, les femmes prennent les cimetières pour jardins. À Paris, on ne s’est jamais mieux étourdi par l’odeur des roses que si l’on accompagne les corbillards chargés de fleurs.
Sainte Rose de Lima (j’ignore sa biographie, mais un nom si délicieux lui prête une grande autorité) pensait que les larmes sont la plus belle richesse de la création. Il n’y a pas de volupté profonde sans brisement de cœur. Et les physiologistes s’accordent avec les poètes et les philosophes pour recon- naître que, si l’amour continue l’espèce, la douleur la purifie.
Maurice Barrès
La mort de Venise
Éditions Nicolas Chaudun